Un complIment

Hello les grbouilleurs,

« Si j’avais tendance à m’éterniser sur tout ce que je n’étais pas, la raison en était simple. J’avais du mal à définir qui j’étais. » Je viens de lire cette phrase dans L’art de la victoire de Phil Knight et elle m’a donné envie de vous parler des compliments.

« Tu es spécial. » Cette phrase m’hérisse le poil. Instinctivement, je me dis que c’est faux. Au moment où elle est prononcée, je suis au milieu d’une belle conversation. C’est tout ce que j’aime : à 360°, nous survolons l’univers, les sujets s’enchaînent sans se ressembler, et les rires fusent. Mais cette phrase m’arrête dans mon élan. Je la connais et elle me terrifie encore. Elle me fait penser aux nuages qui annoncent une pluie imminente. Je ne veux pas être spéciale. « Spéciale » et « seule pour l’éternité » ont le même sens pour moi ; je ne veux ni l’un ni l’autre. Devant ce qui semble pourtant être un joli compliment, mon cerveau m’invite à la prudence. Il me dit : rappelle-toi, les compliments viennent juste avant les attentes, qui précèdent la déception menant au rejet ou aux insultes. Cette conclusion me donne des frissons. Je la connais, elle m’a accompagnée pendant mes années universitaires et mes premières années de carrière. C’était mon diplôme d’humilité : ne pas croire aux compliments pour éviter de prendre la grosse tête. Mais alors que ce mantra fait son chemin, quelque chose dans cette phrase me semble faux. Est-ce que tous les compliments que j’ai reçus se sont soldés par le rejet ? La réponse est évidemment non. Oui, j’ai connu des histoires qui ont commencé par « Tu es spéciale » et qui se sont terminées par « Tu n’es pas assez bien à mon goût, pas assez forte, pas si intelligente que ça… » Alors j’ai gardé ce mantra pour me préparer à la prochaine attaque, en me disant : si ce n’est pas une attaque, tant mieux, mais si s’en est une, au moins je serai protégée.

Aujourd’hui, ce mantra sonne faux. C’est comme un murmure lointain, et même si l’émotion reste vive. Ce que je sais aujourd’hui, c’est qu’un compliment n’engage que celui qui le fait, et une flatterie n’engage que celui qui la dite. Recevoir un compliment peut être une bénédiction, mais lorsqu’on a été éduqué au bâton et à la carotte, cela peut très vite devenir la drogue dont on a besoin pour se sentir bienvenue sur Terre. Face à un compliment, la question n’est pas d’évaluer la sincérité du compliment ou les intentions de celui qui le fait. J’ai envie de dire qu’il s’agit plutôt de se concentrer sur la réaction que l’on a. Est-ce qu’on se sent pousser des ailes ? Si oui, la deuxième question est : pourquoi ces ailes n’ont-elles pas poussé avant ? Sans doute parce que vous vous êtes dit que la beauté qui se dessine devant vos yeux n’a de sens que si une autre personne la voit aussi.

Les compliments donnent des informations sur la position d’une personne par rapport à quelque chose que vous dites ou faites, mais ils ne devraient pas vous définir. Un compliment, en général, parle d’un aspect spécifique de vos actions, mais il parle rarement de vous dans votre entièreté. Un compliment ne devrait pas vous définir. Si on me dit « tu es une personne spéciale », que me reste-t-il à devenir si je fais de cette phrase mon identité, si j’essaie de m’ancrer dans cette perception ? Je perds mon droit à l’échec, je renonce à mon droit de tomber, de danser sous la pluie, de rire aux éclats quand je tombe dans la boue. La manière dont les compliments vous définissent est proportionnelle à la manière dont vous laissez les reproches vous abaisser. C’est beau de se sentir pousser des ailes devant un « tu es belle » et qu’est-il de la phrase contraire tu es un 2/10 ? Les autres auraient dont la graine et le coutela de vos ailes ? Qui leur a donné la permission ?

Mon réflexe primaire est de rejeter les compliments pour me protéger. C’est une protection que j’ai développée pour ne pas en faire trop. Mon réflexe devant les reproches est de chercher en moi ce qui a besoin d’être rejeté parce que, de cette manière, je suis protégée contre le monde. Deux stimuli, une action : le rejet. Ça veut aussi dire que mon cerveau est en vigilance maximale 100 % du temps, toujours en train de se préparer à la guerre. C’est hautement toxique, mais disons qu’il y a des circonstances atténuantes. J’ai appris à craindre le monde en évitant d’être rejetée. Mais éviter, c’est s’emprisonner et mourir avant d’avoir vécu.

Un compliment, quelle que soit la personne qui le fait, ne doit pas être pris comme un élément de validation ou d’invalidation de ce que vous êtes. Votre avis compte, quel qu’il soit. Si vous êtes fier de vous et que vous recevez un compliment, c’est une bonne chose, ça vous fait une équipe de pom-pom girls ou boys (avec vous en leader). Si vous êtes déçu par un travail que vous avez présenté, que vous recevez un compliment, cela ne veut pas dire que la personne essaie de vous rassurer. Cela veut parfois dire que vous avez mis la barre très haut et que vous avez oublié de vous complimenter pour le chemin parcouru. Recevoir un compliment ne devrait pas nous arrêter. Recevoir un compliment ne devrait pas nous faire rater des battements de cœur, surtout si on en reçoit sans rien faire du tout. Parfois les gens aiment votre travail, parfois c’est juste vous qu’ils aiment, tel que vous êtes. « Tu es spécial » n’est pas un contrat de travail qu’on vous tend et qui contient mille clauses et obligations. Non, c’est seulement un murmure. Une caresse du vent. Pas besoin d’organiser une conférence, pas besoin d’être en alerte maximale. Personne ne vous attaque ici. Personne n’essaie de vous piéger. Et même si c’était le cas, vous n’êtes pas responsable des actions des autres ; vous êtes responsable de votre réponse à leurs actions, vous êtes responsable de votre paix, vous êtes responsable de l’ambiance en vous. Déposez les armes, enlevez le gilet pare-balles, ouvrez-vous à ce que le monde a à offrir, car parfois ce qui suit un premier compliment est une amitié qui vous apprend à vous voir avec des yeux complètement différents. Et si le compliment devient un reproche,  regardez-vous dans un miroir et offrez-vous un peu de compassion et d’amour ; c’est gratuit et sans effets secondaires.

Pour finir, je dirais que je suis quelqu’un de spécial : regardez, j’ai écrit ce texte rien que pour vous. Je me félicite, et si, d’aventure, vous avez envie de me faire un compliment, allez-y. Mon cher et tendre cerveau a compris la leçon. Et d’ici là, je vous aime un peu, beaucoup, passionnément, mais pas à la folie.

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